Le cri du court

Quel joli moi de mai ; un ciel bas, gris, un vent mordant dans les petites rues où le vent s’engouffre entre les bâtisses pour mieux venir faire frisonner le promeneur qui s’attarde à l’extérieur de son chaud logis… Rien de mieux que de siroter un bon brandy confortablement installé dans son fauteuil de bureau en regardant la plèbe lutter contre les éléments.

De toute manière, c’est ça où faire pivoter mon assise vers mon bureau ; on y trouve quelques dossiers vomissant leur contenu dans un arc-en-ciel de post-its et d’images plastifiées diverses, un ordinateur ronronnant affichant une file de mails en attente, et surtout, surtout, deux places pour Roland Garros à peine sorties d’une enveloppe datée du jour-même.

Avant de me retourner vers ces documents, je dois donc décider de ce que je vais faire de ces places. Cendrier ou broyeur ?

Ce n’est pas tant que je n’aime pas le tennis. C’est surtout que je déteste, non, je hais, je dirais même que je conchie le tennis moderne. La faute ne va pas forcément aux minishorts flashy et autres casquettes immondes que peuvent arborer les plus courageux, mais surtout à un phénomène bien mystérieux. Attendez, si je veux être clair, il va nous falloir nous appuyer sur des documents précis et sérieux. Aussi, j’invite celles et ceux qui ont la possibilité d’avoir l’image et le son à cliquer sur cette vidéo d’un match à Roland Garros en 1985 (inutile d’aller jusqu’au bout, 35 secondes environ suffisent amplement), et pour les autres, ceux qui sont censés travailler à cette heure-ci mais qui surfent honteusement sur des sites aux intitulés grossiers au lieu de produire de la richesse pour sortir le pays de la crise, voici une retranscription textuelle :

Joueur 1 sert :
Poc.
Poc.
Poc.
Poc.
Poc.
Poc.
Ouf ! (Joueur 2 vient de récupérer une balle difficile) – Poc.
Poc.
Poc.
Out  (crie l’arbitre du haut de sa chaise spéciale dégustation de compote pour enfant) !
Clap-clap (font les spectateurs).

Voilà, ça, c’est ce qu’on appelle un match de tennis.

Harry Gem, inventeur du tennis, se souvient de l'époque où l'on pouvait y jouer sans déranger ses voisins

Observons un match de tennis moderne. Rendons nous donc 20 ans plus tard, en 2004, toujours sur les courts de Roland Garros. Pour ceux qui ont le droit de cliquer, la vidéo est ici , pour les autres, on recommence avec du texte :

Joueur 1 sert :
Poc.
OUAAAAAAAAAARGH – Poc.
Poc.
MEUAAAAAAAAAAAAAAAARH – Poc.
Poc.
AAAAHIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIINNNN – Poc.
Poc.
TENNISMACHTFREIIIIII – Poc.
Poc.
Out (Crie l’arbitre qui a une toute petite voix comparés à ce que l’on entend).

Voilà donc ami lecteur tout le nœud du problème : Roland Garros est devenu une sorte de concours de la meilleure imitation du salon de l’agriculture. C’est à qui poussera le cri le plus guttural à la moindre balle, qui forcera tant ses poumons à se compresser dans un monstrueux et tonitruant vagissement que son petit short blanc se colorera brutalement en brun.

Combien de jeunes passionnés de tennis sont désormais obligés de couper le son pour regarder un match afin d’éviter que leurs parents, à l’écoute de ces bruits animaux d’efforts humains surjoués, ne rentrent dans leur chambre en s’attendant à les voir se masturber devant un porno moldave ? A en croire ces glapissements, il faut comprendre les malheureux géniteurs : tout cela ressemble plus à du Marc Dorcel qu’à du Roland Garros.

William Wallace effectuant un service à la Stirling Cup 1297

Pourquoi cette apparition soudaine et brutale du cri barbare dans le tennis professionnel ? Est-ce pour impressionner l’adversaire ? Y a t-il une nouvelle loi gravitationnelle qui expliquerait que plus l’on hurle avec force, plus la balle part rapidement ? Le mur du son ne serait-il qu’une mauvaise interprétation : c’est parce que ça fait boum que l’on va vite, et non parce que l’on va vite que ça fait boum ?

Le mystère reste entier ; certains esprits mettront ce phénomène sur le dos des micros modernes, plus puissants et plus aptes à capter les sons produits par nos rois du tennis, mais nenni : la balle ne fait pas plus de bruit qu’avant, pas plus que le public ou l’arbitre : nous sommes bel et bien là face à une mode aux règles cabalistiques.

Car tous les joueurs ne tentent pas d’imitations de Lara Fabian à l’approche de la petite balle jaune ; certains plus discrets continuent de jouer en se contentant d’utiliser leurs poumons pour respirer. Dans les exemples donnés ci-dessus, c’est le cas : un joueur crie, l’autre non. Pourtant, il existe des matchs où le ridicule atteint des sommets puisque les deux joueurs se lancent dans un concours de qui mieux-mieux sonore sans fin. Ce qui donne en général :

Joueur 1 sert :
RAAAAAAAAAAAAAAAAH – poc.
OUAAAAAAAAAAAAARGH – poc.
REUUUUUUUUUUUUUUUUH – poc.
GRRRRRRRRRRRRRUUUUUUUUUU – poc.
MRRRRROAAAAAAAAAAARF – poc.
Advantage, Federer (dit timidement l’arbitre).
Clap-clap (font les spectateurs).

Tzongo content de gagner, car Tzongo pouvoir continuer de pousser cri barbare

Essayez de tourner le dos à votre poste de télévision pour suivre un match et fermez les yeux. Ca y est ? Voilà ; à l’exception des rares intervention de l’arbitre ou du public, c’est exactement la bande son de Maurice l’Ogre Constipé, ce film que vous avez offert à votre neveu pour son dernier Noël.

Alors pourquoi, pourquoi ces hurlements abominables, ces cris répétitifs, cette volonté de faire plus de bruit que son voisin ? Le Seigneur enverra t-il sa foudre frapper les cordes vocales des joueurs ? Un joueur de tennis actuel peut-il jouer un match s’il est aphone ? Je l’ignore. Mais cette année, Roland Garros se jouera encore une fois sans moi : j’ai ping-pong.

Allez, c’est moi qui sers ; REEEEEEEEEEEEEEEEEUAAAAAAAARGH !

40 réponses à “Le cri du court

  1. « ce film que vous avez offert à votre neveu pour son dernier Noël. »

    Vous accusez vos lecteurs d’offrir des films porno gays à leurs neveux pour Noël ?

    C’est honteux. Pauvre France.

    Typhon

  2. Tiens, je me demandais depuis toujours pourquoi ils beuglaient comme ça les tennisman.
    J’ai toujours trouvé ça un poil débile aussi.
    On m’avait dit un jour que c’était parce qu’ils usaient de beaucoup de force et criaient à cause de la tension des muscles qui se relâchaient. Je n’aime pas qu’on me prenne pour une conne ;)

  3. Je m’offusque!
    Federer est un des rares joueurs à ne pas gueuler comme un cochon qu’on égorge!

  4. La vraie couineuse fut Monica Seles (surnommée la moche) qui glaçait d’effroi ses adversaires au point qu’un spectateur fut obligé de la poignarder.
    Sérieusement, autant c’est ridicule chez les hommes, mais qu’une femme pousse des cris pareils, c’est réellement désagréable. Autant Golovin est jolie, autant quand elle joue, c’est autant un tue-l’amour que Aranxa Sanchez.
    Allez, je reprends votre service en revers,
    HAAAAAAAAAARRRRRRRGHHHH (poc)

    • Pardon ? Golovin, jolie ? A part Sharapova (qui elle est vraiment un exemple de truie gueulant pour rien par contre (truie certes très svelte)) et Ivanovic les joueuses sont rarement gâtées par la nature…

      Sinon ma réponse à l’énigme c’est tout simplement : avez-vous comparé la vitesse de balle entre les 2 matches ? la variété de jeu ? Cela entraine une dépense physique beaucoup plus importante. Les joueurs d’aujourd’hui parviennent à repêcher des balles après lesquelles aucun joueur d’y a 30 ans ne se donneraient même pas la peine de tenter de rattraper.
      Cela dit je suis pareillement exaspérée du côté grand spectacle que devient le tennis ; entre le public qui hurle au moment du service ou en plein milieu d’un point, et un Gaël Monfils perpétuellement insultant, c’est vraiment pénible…

  5. Bon, alors oui, mais non.

    Je pense qu’on peut comparer ce genre de cris aux « kiaïs » poussés par les karatekas et autres artistes martiaux. Et il est clair que lancer un cri kiaï au moment d’un coup de poing dont on attend spécialement de vigueur (ou d’un coup droit, même combat) peut accroître la force du coup.
    Les pratiquants des arts martiaux ayant tendance à savoir ce qu’ils font, et cela depuis plusieurs centaines d’années, je leur fait confiance quand à l’utilité des kiaïs.

    Après, savoir si les cris gutturaux des joueurs de tennis modernes accroissent leur force de frappe, j’aurais tendance à dire oui. Il suffit de voir : entre la première et la deuxième vidéo, on peut constater que de nos jours les balles sont bien plus rapides et fortes.
    Bon, après, peut-être qu’un cri préhistorique à chaque fois n’est pas nécessaire, mais peut se révéler utile en fin de match où il faut « tout donner ».

    Donc non mon cher Connard, je ne suis pas vraiment d’accord avec vous.

    • Et c’est votre droit ; pour ma part, certains cris commençant dès le début du match, j’ai tendance à penser qu’ils ne sont pas dus au « tout donner en fin de match ».

      Votre théorie reste cependant intéressante ma foi.

      • C’est pour cela que j’ai précisé que je n’étais « pas VRAIMENT d’accord ».

        Et, pour tout dire et pour avoir vu quelques Roland-Garros et autres, en général et à part certains, ils ne se mettent pas à pousser des cris gutturaux au début du match. Bien sûr il y en a, et pour ceux-ci je suis d’accord avec votre pamphlet, mais du reste…

      • Si je n’étais pas de mauvaise foi, je dirais que vous avez raison.

    • « on peut constater que de nos jours les balles sont bien plus rapides et fortes » [sic]. Oui. Peut-être parce qu’ils crient plus fort, en effet.
      Ou parce que les pharmaciens ont fait des progrès: ne jamais hésiter à chercher d’autres explications quand on en a déjà de satisfaisantes.

    • Petit détail qui a tout de même son importance.
      Prenez la raquette que vous aviez il y a 25 ans, oui celle en bois ou en acier de 2kg avec un tamis de 400cm² et frappez une balle en poussant le plus grand kiaï possible. Même expérience avec du ruban adhésif sur la bouche et une raquette nouvelle génération en graphite avec un tamis de 650cm pour 280g et vous en déduirez d’où vient cette différence dans la vitesse des balles.

  6. Pour moi, la réponse est ailleurs.

    En effet, tous les tennismen actuels ont grandi avec Star Wars (la 1ère trilogie, celle des épisodes 4 à 6).

    Quel est le principal personnage de Star Wars ? Chewbacca. Et quel est le mode d’expression de Chewbacca ? Un cri que j’ai toujours retranscrit de la sorte : RUUUMMMPPPHHHH!

    Il s’agit donc d’un hommage au personnage le plus intéressant de l’histoire du cinéma (qui fut aussi d’ailleurs longtemps mon avatar sur les forums que je fréquentais à l’adolescence, nostalgie quand tu nous tiens, auto-dédicace.)

    • Chewbacca ne crie pas, il rugit. Les être humains ont un larynx configuré de telle sorte que s’ils essaient de rugir, ils produiront un cri des plus ridicules.

      À contrario, une bête fauve qui rugit est majestueuse. Le Tigre, prince des félins, rugit, et tout les animaux s’effraient.

      Typhon

  7. Meilleur souvenir de match inssuportable à regarder : finale de master (monaco ?) Kuerten face à Arazi. Ca donnait du « iiiiiieeeeeeeèèèèè » « huuuuuuuunnnnnnggg », magistral !

  8. Avec ou sans les hurlements mal joués d’acteurs pornos scandinaves, le tennis c’est relativement chiant quand même. Contrairement à cet article qui m’aura plus amusé que trois roland garos.

    Juste une pensée, en passant, inspirée par cette photo de Mel Gibson en finale de la Stirling Cup. Vous devriez spolier Braveheart, le plus gros chapelet de perles de clichés cinématographiques de l’histoire du cinéma, il y aurait de quoi faire un immense article avec cette insulte à l’intelligence sur pellicule. A moins que le film ne se suffise à lui même, dans la catégorie bouse générée par ‘Holywood 2000’, le logiciel de création de scenars des stars.

      • De ce film, je ne retiens que la sieste de 45min que j’ai faite devant. Heureusement, j’étais dans une petite salle rurale, ca ne m’a pas coûté trop cher.

      • Un film qui avait un potentiel énorme, bonne idée de départ, quelques bons acteurs (dont un Sean Connery, quand même), un budget intéressant… Mais sans autre scénario que d’atteindre le point Goodwin rapidement, le résultat est digne d’un Highlander 3 ou d’un Taxi 2…

      • alors que les romans graphiques (2 tomes) sont eux excellents (et ont d’ailleurs inspirés des compatriotes pour leur Brigade Chimérique ainsi que le JdR éponyme tiré de la sympathique BD)

  9. Je ne sais pas pour le tennis, mais au karaté, lorsqu’on donne un coup avec le maximum de puissance, alors il est possible de faire retentir un kiai, qui est un cri plutot aigu venant du ventre (hara), et qui marque le fait qu’on balance son chi et son kimé (grosso modo : chi=énergie souffle. kimé: spontanéité, concentration de la puissance en un point)

    maintenant a savoir si les tennisman s’inspirent des arts martiaux japonais….qui sait ? ^^

  10. Les cris que peuvent pousser les joueurs de Tennis sont, selon une de mes connaissances, Arrantxa Sanschaise, ancienne joueuse de tennis ammateur, est en fait un cri de victoire pour avoir réussi à frapper dans une aussi petite balle!!!

  11. « RAAAAAAAAAAAAAAAAH – poc.
    OUAAAAAAAAAAAAARGH – poc.
    REUUUUUUUUUUUUUUUUH – poc.
    GRRRRRRRRRRRRRUUUUUUUUUU – poc.
    MRRRRROAAAAAAAAAAARF – poc. »

    A la subtilité du phrasé et à la mélancolie sous-jacente, je devine dans ce poème l’une des merveilleuses chansons de Céline Dion…
    Ou de Lara Fabian.
    Quand je mets le son aussi, d’ailleurs.
    Les verrons-nous cette année en finale du simple dames? Ou en double mixte, avec Johnny et Florent Pagny?

  12. Pire que des cris. Pire que le son du poing des banquiers contre vos portes. Pire que le jaune fluo. Des appels de l’enfer des plus sonores, doublé du bruit des billets froissés.
    J’ai nommé Royal Canin, alias les soeurs William.

    • On dit les frères Williams mademoiselle. Désolé de vous reprendre. Mais au vu de la puissance et de la carrure des bestiaux, il ne s’agit plus de femmes, mais d’hommes, ou alors de femmes comme on en croise dans certaines forêts d’Ile de France.
      Bien à vous

  13. Certes, mais c’est aussi l’évolution technique des raquettes (dont un revirement complet justement vers le milieu des années 80), qui a permi une augmentation radicale de la vitesse des balles et donc de la force de l’impact ainsi que de l’effort nécessité pour la renvoyer – observez la différence dans vos deux vidéos, aujourd’hui l’on frappe comme une brute – qui a rendu le tennis moins ennuyeux et plus accessible au grand public. C’est un compromis médiatique

  14. C’est drôle de reprocher à un film de super Héros (donc de SF) de ne pas être crédible.

    Avoir des méchants qui sont méchants voire bêtes et moches, des gentils qui sont héroïques (même si la tendance est au héros torturé, asocial, insert random trait de caractère négatif) et beau, consiste à respecter les archétypes en vigueur.

    Toutes les trucs qui vous paraissent bizarre ne servent que le *tousse* scenario.

    Iron Man alternatifs version réaliste:
    Tony Stark prend une balle par un sniper afghan, durée de la saga 1 min 30.
    Tony Stark meurt du tir de rocket, durée de la saga 5 min.
    Exécuté par les méchants ploucs talibans, durée 15 min.
    Tony Stark meurt du palladium, durée de la saga 1 film + 5 min.
    etc… etc…

    • Vous m’avez tué (de rire) autant de fois que ce pauvre M. Stark, merci.

      Et n’oublions pas : Tony Stark fait une chute de 300 m à 200 km/h, durée = …

  15. Certains joueurs de tennis ont du vous lire… je viens de tomber sur « Tout le sport », sur France 3 et je remarque qu’ils hurlent moins qu’avant. C’est dommage, ça me faisait rire.

  16. « […]et pour les autres, ceux qui sont censés travailler à cette heure-ci mais qui surfent honteusement sur des sites aux intitulés grossiers au lieu de produire de la richesse pour sortir le pays de la crise[…] »

    Ah que je me sens bien en lisant cette belle phrase ! Merci d’avoir retranscrit les vidéos au passage.

    Très juste cette question sur le joueur de tennis aphone. J’aimerais également avoir la réponse.

  17. J’ai toujours pensé que c’était une méthode pour déconcentrer l’adversaire… Face à l’enjeu, on peut bien passé pour un abruti tant que ça nous permet de gagner. C’est d’ailleurs loin d’être le seul sport à se servir de toutes ces bassesses ridicules pour avoir un avantage coûte que coûte. Entre ça et le dopage, la définition du sport à en effet bien changé…
    Merci pour cette article !

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