Cochonou maillot jaune

Ha putain les enfants, l’autre jour, alors que je fumais tranquillement un bon cigare en relisant l’intégrale de Proust dans mon meilleur fauteuil (je rappelle aux plus jeunes que Proust ne se lit pas, il se relit), je sentis soudain se déposer sur mon visage un mouchoir imbibé de chloroforme. Déjà que c’est pas banal, quelle ne fut pas ma surprise de me réveiller sur les bords de route du Tour de France, coincé entre deux familles réunies au grand complet pour applaudir les athlètes du jour.

Bon, il faut savoir que j’adore le Tour de France. Comme le disait Michel Drucker, c’est un bel exemple de dépassement de soi qui fait rêver la France entière. En parlant de dépassement, le Tour dépasse régulièrement les frontières, allant se promener cette année entre autres en Suisse et en Espagne. A force de s’étendre, ça va se finir en Anschluss cette affaire. Hop.

En tout cas, plaisanterie à part, Michel Drucker a bien raison : autant de cardiaques, asthmatiques, cancéreux et autres grands malades pédalant à vive allure sur leurs fières montures durant des heures en plein cagnard, des mecs qui, si on en croit leurs dossiers médicaux, ne pourraient pas marcher plus de 50 mètres sans l’aide d’une assistance respiratoire, ça fait rêver, un tel dépassement des lois de la nature et de la biologie.

Lance Armstrong
Non, Lance Armstrong ne se dope pas, c’est juste que sans les bouboules, on va plus vite.


J’étais tout à ces réflexions, en train de me demander si j’avais à proximité de quoi me bricoler un costume de seringue ou de bocal d’urine avant le passage des coureurs, quand soudain je fus brusquement interrompu par un cri puissant et guttural :

« Les voilà !« 

Robert (car tel était probablement son nom), ce puissant mâle situé dans la petite famille sur ma gauche dont le t-shirt « F.B.I » laissait entrevoir une bedaine plus que généreuse et velue (ça fait rêver les ménagères), venait ainsi d’avertir sa tribu que quelque chose se passait. Quelque chose d’essentiel, puisque s’arrachant de son siège pliant en laissant échapper un pet sonore qui me rappella brièvement les orgues de Notre Dame, il se mit à guetter la route en contrebas. « Ils arrivent« , ajouta t-il sur un ton d’émerveillement.

« Ils« , ce n’étaient pas les coureurs mais bien une horde de véhicules bruyants et bigarés : la caravane du Tour. Dès lors, de chaque côté de la route, sortant des fossés comme autant de partisans russes prêt à chopper un convoi teuton, les hordes de jeunes et moins jeunes du public commencèrent alors à agiter frénétiquement les bras en direction des premiers véhicules. Et c’est parti pour 45 minutes de spectacle : les voitures aux couleurs de grandes marques se succèdent et balancent des cadeaux dans le plus pur style « Du pain et des jeux » ; et il ne faut pas croire : ce n’est pas un sport de tout repos.

Ca se passe bien lorsque l’hôtesse sur le véhicule, disons, LCL (vous savez, les nanas qui se tapent toute la journée le même slogan genre « Plus plus un p’tit peu pluuus » en boucle et qui, si elles ne sont pas déjà décérébrées, le seront bientôt), balance son sac probablement en papier hygiénique (dans lequel tu trouveras toute la documentation pour t’endetter) sur un spectateur. Celui-ci jubile alors, brandit bien haut son trophée, et tel Groumf le chasseur de Mammouth, éructe en jetant des regards de défi à ceux qui n’ont pas reçu l’offrande venue du ciel. C’est qui le mâle dominant maintenant ?

Mais parfois, ça se passe mal. Par exemple, lorsqu’arrive la caravane Etap’Hotel, qui va jeter son bonnet de nuit (attention, il est moche mais multifonction : très moche en tour de cour, très moche en bandana, très moche en écharpe, etc) : et là, l’hôtesse vise mal, elle n’a pas pris en compte le vent d’Est et la vitesse du véhicule : le bonnet tombe entre la famille Rindieu et la famille Bourvier. Dès lors, un champion de chaque camp s’élance en direction du précieux bien tombé à terre, et ces fiers guerriers n’hésitent pas à en venir aux mains (véridique) pour récupérer le don de la caravane du Tour.

Le gagnant de la bataille devra subir les attaques verbales et perfides du perdant (« J’l’avais vu en 1er de toute façon » – « Ouais mais toi t’avais eu deux fois des sachets de Cochonou » – « Ho, je t’ai vu t’empiffrer de sachets Haribo avec tes gosses ! »), mais reviendra le bras bien haut, brandissant son trophée. Ses enfants lui diront en choeur et l’oeil humide « Merci, Papa« , et Simone sera fière de Robert, et ce soir, avec cette montée de testostérone, elle aura probablement droit à des blagues de Robert qui voudra démontrer qu’il est « Le meilleur grimpeur de l’étape« .

Voiture cochonou

Roules Michel, bon sang ! Si tu t’arrêtes, ces enfoirés vont prendre la voiture d’assaut !


Au final, les familles se regroupent et réunissent les différents gadgets qu’elles ont pu attraper. Si les parents ne gardent pas tout pour eux (véridique aussi), il y aura probablement partage du butin avec la marmaille. Certains plus extrêmistes, iront probablement enterrer le tout dans le jardin, et buteront le moussaillon qui a creusé le trou, dans la plus grande tradition des pirates. Sauf qu’à Tortuga, on n’était pas prêt à tuer pour un porte-clé de la Police Nationale (avec un fonctionnaire représenté stylisé en manga, la classe).

Au final, après ces trois-quart d’heure de défilé publicitaire acclamé par le public (« Chouette, c’est l’heure de la pub !« ), les coureurs arrivent enfin, et en moins d’une minute s’ils sont en peloton, cinq minutes s’il y a des échappés, on les a tous vu. Qui a reconnu Armstrong, qui a vu Jalabert sur sa moto, qui a cru apercevoir les cheveux de Gérard Holtz dépasser du siège enfant de la voiture France 2, bref, qui a vu un pipole, bordel, et t’auras une taloche si t’as raté la photo de Poulidor dans sa voiture, petit con.

Je viens d’ailleurs de lire sur le site du Tour de France que 39% des spectateurs sondés venaient en priorité pour la caravane publicitaire. Ca se passe de commentaires. Ha si, j’en fais tout de même un : je me suis moi-même trémoussé pour attirer l’attention de la caravane : les véhicules Antargaz étaient en train de passer, et j’avais le secret espoir qu’ils jettent une bouteille.

Autant vous le dire : quelle déception.

16 réponses à “Cochonou maillot jaune

  1. Je commence juste à lire. Mais le Tour de France, Harry Potter et Orelsan m’ont fait mourir de rire.
    Je commenterai rarement, mais je vais tout lire.

  2. Merci bien ; par contre, je préconise des pauses pipi entre deux pavés : toutes les deux heures, la pause s’impose.

  3. J’ai pas vraiment l’habitude de pommader, mais là c’est pas possible autrement. Tu es un Desproges. Tu m’arraches les mots de la gorge.
    -attention : là, j’ai pas voulu faire de rime foireuse, ne nous méprenons pas-
    C’est le point positif.
    Le point négatif, en revanche, c’est que dans moins de cinq minutes tu es dans mes liens.

  4. Je n’ai jamais suivi le tour mais finalement l’année prochaine j’achète un camping-car a 60.000 euros et j’invite btr999 à passer des vacances de rêve dans un caniveau pardon à la campagne on appel ca un faussé au fin fond de la Creuse

    • Message personnel: « Tu peux crever! »
      (Surtout que 60.000 euros, ça représente un paquet de caisses de Chablis)

  5. En voila un blog qu’il est interessant.

    Je penserai à remercier celui ou celle qui m’a passé le lien, vu le temps que j’ai deja passé à savourer son contenu.

    Merci de decripter l’information avec tant de talent et de cynisme, juste pour le plaisir de nos petits yeux incredules.

    J’espere que c’est parti pour durer =)

  6. Antargaz. Diantre, j’ai ri aux éclats, à 3 heure du mat, manquant réveiller madame à l’étage.
    3eme heure à lire cette prose odieuse, j’arrête là, je reviendrai finir tout ça demain.

  7. J’ai beau savoir comment sont les humains, un peu, j’ai du mal à y croire…
    La voiture, c’est un montage sur photoshop, c’est pas possible autrement !

    Je veux dire, la valeur des cadeau doit même pas valoir le prix de l’essence pour aller voir le tour… 
    En tout cas merci, je me suis toujours demandé, quand mon père regardait ça a la télé, pourquoi il y avait des personnes sur le bout de la route attendant longtemps pour un « spectacle »(permettez les guillemets) extrêmement court, et j’ai enfin la réponse.

  8. Très bon tout ça :)
    Mais « Roules » (légende de la photo n°2) ne prend pas de « s » à la deuxième personne du singulier de l’impératif présent (verbe du premier groupe, watelze?).

  9. Cher Odieux,

    Je viens, par hasard de tomber sur ce post, publié à l’époque où je ne vous connaissais pas. Cela me rappeler le tour de France de cette année, où j’ai emmené (de force) ma chère et tendre sur des arguments magnifiques comme « tu vas voir, c’est bien le sport », ou « après tout on est pas près de revoir cela ».
    Et, durant cette fameuse caravane, deux familles se battant pour un paquet de Nesquik… Entre autres ‘grands’ cadeaux fournis par cette caravane.

    Merci de m’avoir fait me re-souvenir de ce moment très particulier.

  10. tiens, je reviens sur cette article pour le plaisir de la lecture , quelle don de voyance d’avoir déja a l’époque repéré la prise de drogue chez amstrong ?! odieux , fournisseur officiel ?

    • En tant qu’odieux connard, il a promptement converti une suspicion énorme corroborée de nombreux indices en un verdict implacable.

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